«Le Commissaire de police a eu 100% raison» d’agir comme il l’a fait, affirme le Premier ministre. En n’accordant pas de mandat d’arrêt contre Raj Dayal, le 25 mars dernier, Mario Nobin a usé de son pouvoir discrétionnaire, explique sir Anerood Jugnauth. Mais surtout en fonction des éléments à sa disposition à ce moment-là.

Si les dossiers brûlants ne manquaient pas pour cette rentrée parlementaire, c’est à l’affaire Dayal que le leader de l’opposition a choisi de s’attaquer pour sa première Private Notice Question de l’année. L’ex-ministre de l’Environnement fait l’objet d’une enquête de l’Independent Commission against Corruption (ICAC) pour corruption à la suite d’une déposition de l’homme d’affaires Patrick Soobhany.

La requête de l’ICAC n’a pas été refusée vendredi dernier, fait ressortir le chef du gouvernement tandis que les députés de l’opposition l’écoutent, sceptiques. Mais le Commissaire de police, qui a agi en toute indépendance, dit SAJ, ne pouvait pas  l’approuver à ce moment-là.

Lorsque les enquêteurs de la Commission se sont adressés au Commissaire de police (CP), celui-ci a été informé que l’interrogatoire du ministre de l’Environnement était toujours en cours au Moka, explique le chef du gouvernement. Mario Nobin, affirme le PM à la Chambre, a alors demandé que l’ICAC formule à  nouveau sa requête quand l’interrogatoire aura été bouclé. «Ce que l’ICAC n’a pas encore fait jusqu’ici», a fait ressortir SAJ.

A l’Assemblée nationale, le Premier ministre a admis ne pas avoir écouté la bande son qui incriminerait Dayal. «J’ai lu la transcription et j’ai été choqué. C’est pourquoi j’ai demandé au ministre de démissionner», ajoutera-t-il. Il dira également ne pas être au courant qu’un journaliste aurait facilité l’enregistrement de la bande sonore  et que le CP confirme qu’aucune déposition à cet effet n’a été enregistrée.

«Traitement VVIP»

«Il n’y aura pas de ʻcover upʼ, contrairement à l’ancien régime», assure sir Anerood Jugnauth en lisant sa réponse initiale. «Nous avons été mandatés par le peuple pour nettoyer», ajoute-t-il. «Self cleaning!», lance le député travailliste Shakeel Mohamed alors que le PM tente de terminer sa réponse au milieu des piques des députés rouges et mauves.

«Les institutions doivent jouer leur rôle en toute indépendance, sans crainte et en toute impartialité» insiste SAJ. Des assurances applaudies par les membres de l’Alliance Lepep, même Raj Dayal.

Le leader de l’opposition s’offusquera cependant du «traitement VVIP» dont jouit, selon lui, Raj Dayal. Et s’étonne auprès du Premier ministre (PM) que celui-ci s’attaque à ceux qui le dénoncent. «Ceux qui ont porté plainte sont protégés par la loi, par la PoCA [Prevention of Corruption Act]», assure SAJ. Il n’empêche, dit-il, que «comme tout citoyen», il peut saisir la justice «s’il s’estime lésé». «En quoi est-ce la faute de la police ?» lance le Premier ministre au leader de l’opposition.

Paul Bérenger de revenir à la charge, cette fois relevant le sentiment dans le public qu’il y a «deux poids, deux mesures» selon le profil de ceux que la police doit arrêter. Le chef de l’opposition cite alors le cas de Facebookers qui, contrairement à Raj Dayal, ont été arrêtés «immédiatement».

«Pouvoirs discrétionnaires»

Sir Anerood Jugnauth croise le fer. S’étonnant que d’un côté, l’opposition réclame la révision de la procédure d’arrestation et de charge provisoire, qu’elle juge arbitraire et abusive quand aucun prima facie case n’a été établi. Mais que, de l’autre, elle vienne réclamer à cor et à cri l’arrestation de l’ex-ministre alors que le CP «prend des précautions pour s’assurer que la décision est prise au bon moment».

De même, le Premier ministre balaie d’un revers de main les arguments du député mauve Veda Baloomoody qui invoque la section 53 de la PoCA, concernant les pouvoirs d’arrestation de l’ICAC. Et balance un «I am not aware» quand Rajesh Bhagwan lui demande s’il est au courant que Rakesh Gooljaury aurait joué les intermédiaires auprès de l’homme d’affaires Soobhany.

Prevention of Corruption Act section 53 powers of arrest

Les choses s’enveniment lorsque Shakeel Mohamed revient sur les «pouvoirs discrétionnaires» du CP. Celui-ci «faisant attention», avance le député travailliste, quand il s’agit de membres du gouvernement mais n’hésitant pas à faire arrêter les membres de l’opposition «avant même le début de l’enquête».

«Je n’ai pas entendu»

Le ton monte. Les quolibets fusent des travées de la majorité, certains demandant à Shakeel Mohamed d’aller poser la question à son leader. Celui-ci leur répond : «Demandez-moi plutôt !» Sir Anerood Jugnauth n’arrive pas à placer un mot et finit par lancer un sonore «Shut up!» à Mohamed.

Le désordre dans l’hémicycle est indescriptible, on entend à peine la Speaker Maya Hanoomanjee qui tente de ramener le calme, menace à plusieurs reprises de suspendre la séance et rappelle à l’ordre les députés de l’opposition.

Paul Bérenger soulève alors un point of order et demande à la Speaker : «N’avez-vous pas entendu ce qu’a dit le Premier ministre ?» Réponse de Hanoomanjee : «Je n’ai pas entendu mais j’écouterai l’enregistrement des débats.»

Protestations des députés rouges et mauves. Les «Shame! Shame! Shame!» fusent. Showkutally Soodhun s’en prend aussi à Shakeel Mohamed avant de s’excuser. La Speaker campe sur sa position : elle reviendra sur les incidents de cette matinée plus tard.

«L’ICAC fait son travail»

Au député Ameer Meea, le Premier ministre répondra ne pas être courant si la Commission anticorruption a saisi tous les documents le jour de la déposition pour s’assurer qu’il n’y ait pas manipulation. «L’ICAC fait son travail. Je n’ai pas été fourrer mon nez», ajoute le chef du gouvernement. S’il l’avait fait, dit-il, on le lui aurait reproché.

Ne craint-il pas que la «solidarité» affichée par «des leaders du MSM» ne pèse indirectement sur les enquêteurs ? a encore demandé Bérenger à SAJ. «Chacun a ses sentiments et les exprime. Comment puis-je m’y opposer ?» répliquera ce dernier.

Reza Uteem a voulu, pour sa part, savoir si chaque décision prise par Raj Dayal sera remise en question. «Ce qui m’intéresse, rétorque SAJ, c’est le présent cas.»

Si les 30 minutes qui étaient imparties à son cas étaient pour le moins houleuses, Raj Dayal affichait, lui, un air détendu. Chemise rose et cravate d’un rose plus vif, épinglette au veston, il est le premier député dans l’hémicycle. Etudiant scrupuleusement ses feuillets, lunettes sur le nez, quand il ne salue pas Salim Abbas Mamode, Showkutally Soodhun, Roshi Bhadain ou encore Pravind Jugnauth à leur arrivée. Et c’est l’air tout aussi détendu que Raj Dayal quittera hémicycle à la fin du Prime minister’s Question Time, peu après midi.

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